Vers la construction de profils émotionnels des habitants et touristes de la Marne. Entretien avec Pierre Labadie
L’Aleph mène un projet d’étude pour l’ADT de la Marne depuis le mois de mars dans le cadre de l’AMI « Plateformes d’appui à l’innovation et à l’expérimentation touristique ». Pour définir l’attachement des Marnais et des non Marnais à ce territoire, le recours à xenia permet de produire une nouvelle génération de données et d’indicateurs, de type émotionnel. Pierre Labadie, coordinateur du Pôle Développement de l’ADT, nous livre dans cet entretien ses premières impressions sur le contexte et le déroulement du projet, et sur les résultats de la première phase.
Nous avons confirmé que nous avons la capacité d’avoir demain les profils émotionnels des visiteurs et des habitants du territoire pour arriver à anticiper et à développer les offres et la communication qui y correspondent.
– L’Aleph : Bonjour Pierre, vous êtes coordinateur du Pôle Développement à l’Agence de développement Touristique de la Marne. Pouvez-vous nous expliquer rapidement en quoi consiste votre travail ?
– P.L. : Bonjour Amel, l’ADT de la Marne est l’émanation du Conseil départemental qui a pour rôle la mise en œuvre de la politique touristique de la Marne. Nous avons à l’ADT trois pôles. Le Pôle Communication a pour rôle de veiller à construire une image positive du territoire. Le deuxième pôle, commercial, s’occupe d’aider à vendre la destination au grand public et aux professionnels du tourisme. Enfin, le Pôle Développement, que je manage, accompagne à la création de nouveaux projets touristiques, à la montée en qualité et à la mise en réseau des activités existantes. Cet accompagnement se fait principalement sur deux axes. Le premier est la construction et l’animation des réseaux d’acteurs autour des filières stratégiques comme l’œnotourisme et la nature. Le deuxième axe est l’accompagnement de projets touristiques privés et publics.
Dans le Pôle Développement, donc, je gère notamment toute la partie « données » pour mieux connaitre nos publics. Je m’occupe à la fois du développement des études quand elles sont faites en interne, et de leur suivi quand elles sont externalisées. Un autre aspect de mon travail est l’accompagnement des acteurs publics dans leurs stratégies et leurs projets. Par exemple, accompagner une collectivité territoriale sur la partie faisabilité d’un projet de création d’un terrain d’accueil de campings cars. Un autre exemple, dans le cadre du label « Villes et villages fleuris » avec la Région grand Est, est un dispositif de conseil en paysage et aménagement du territoire. Ça consiste à aider les collectivités territoriales à concilier urbanisation, qualité de vie et durabilité.
Je m’occupe aussi du pilotage de la stratégie tourisme responsable, à travers notamment l’animation du label écotourisme, l’établissement d’un cahier des charges pour la transition vers un tourisme durable, l’échange de bonnes pratiques, et l’accompagnement des prestataires en activité pour adopter un comportement vertueux.
Nous avions à l’ADT de la Marne un besoin : disposer de nouveaux indicateurs de type émotionnel pour mieux connaitre notre clientèle. L’Œnotourisme Lab a permis de faire le lien entre notre besoin et la startup l’Aleph qu’il a identifiée comme apporteuse de solution à ce besoin.
– L’Aleph : Avec Œnotourisme Lab, l’ADT de la Marne a remporté l’appel à manifestation d’intérêt « Plateformes d’appui à l’innovation et à l’expérimentation touristique » lancé par Atout France. Pouvez-vous nous en dire plus sur le contexte de cet AMI ?
– P.L. : J’ai effectivement aussi une casquette Œnotourisme Lab. C’est un incubateur dédié au développement de l’innovation oenotouristique que l’ADT de la Marne a co-fondé en 2018 avec l’Agglomération de Châlons en Champagne et son Office du Tourisme. Il a pour mission l’accompagnement et la détection de projets innovants et la vulgarisation de l’œnotourisme. L’AMI piloté par Atout France et financé avec le soutien financier de la DGE, s’inscrit dans le plan Destination France qui vise à positionner la France comme une destination de référence en matière de tourisme durable. Il a pour objectif de créer les conditions d’un secteur touristique qui se saisit de l’innovation. Pour cela, il s’appuie sur des plateformes d’appui à l’expérimentation qui ont pour rôle de faire le lien entre les territoires qui présentent un projet d’expérimentation d’une part, et une solution innovante susceptible d’y répondre d’autre part. Nous avions à l’ADT de la Marne un besoin : disposer de nouveaux indicateurs de type émotionnel pour mieux connaitre notre clientèle. L’Œnotourisme Lab a permis de faire le lien entre notre besoin et la startup l’Aleph qu’il a identifiée comme apporteuse de solution à ce besoin. Il a candidaté et remporté l’AMI.
Comprendre ce que la Marne générait, pas dans le sens motivation, satisfaction. Nous avons déjà fait des études dans ce sens. Nous voulions avoir en plus des indicateurs sur ce qui faisait vibrer nos clientèles, mesurer leurs émotions.
– L’Aleph : Vous avez donc choisi d’expérimenter notre solution de collecte et d’analyse des désirs xenia pour étudier la perception de la Marne par ses habitants et ses visiteurs. Pouvez-vous nous dire en quoi consiste cette expérimentation ?
– P.L. : À la base, l’objectif était de mieux comprendre comment les clientèles oenotouristiques vivaient le territoire. Comprendre ce que la Marne générait, pas dans le sens motivation, satisfaction. Nous avons déjà fait des études dans ce sens. Nous voulions avoir en plus des indicateurs sur ce qui faisait vibrer nos clientèles, mesurer leurs émotions. Chemin faisant, en déployant la solution, nous sommes arrivés à un objectif plus large : étudier la perception du territoire à la fois par les Marnais et les touristes, ce qu’ils vivent sur le moment et ce qu’ils en retiennent quand ils partent. Cette question est cruciale car elle nous permet de voir s’il y a un décalage entre ce qu’on leur promet de vivre et ce qu’ils vivent réellement. Ça nous permet de réduire ce décalage s’il existe et de définir des solutions pour mieux tenir nos promesses.
En cours de route, plusieurs questions et phases ont émergé. Nous avons finalement fait une segmentation à partir du croisement de deux critères : Marnais / non Marnais, et émotions ressenties sur le moment/émotions qui restent. Il s’agit donc d’interroger, en trois phase, chacun des couples issus de ces croisements. Une autre piste d’analyse est de comparer les résultats obtenus dans des secteurs oenotouristiques par rapport à d’autres secteurs qui ne le sont pas.
Ce qui m’a plu chez l’Aleph et xenia, c’est […] la proposition de valeur qui est de travailler sur l’humain, les émotions. On oublie souvent cet aspect en se focalisant sur des indicateurs « froids »
– L’Aleph : Pourquoi avez-vous choisi l’Aleph et xenia pour mener ce projet ?
– P.L. : Grâce à ma casquette Oenotourisme lab, nous avions déjà rencontré l’Aleph et échangé avec eux. L’AMI était l’occasion de mettre en œuvre une collaboration que nous voulions depuis un moment. Nous aurions pu choisir d’autres solutions et faire l’étude d’une manière différente. Ce qui nous a plu chez l’Aleph et xenia, c’est d’une part la proposition de valeur qui est de travailler sur l’humain, les émotions. On oublie souvent cet aspect en se focalisant sur des indicateurs froids. D’autre part, nous avons aimé la manière d’être des personnes : ouverture d’esprit, écoute, souplesse, prendre le temps de bien réfléchir pour cadrer notre besoin, pour bien le comprendre. Nous avons pu maturer le besoin initial dans la discussion et l’échange. Nous avons pu créer un lien intéressant pour trouver la bonne solution, nous projeter encore plus loin, à travers les différents segments que nous avons co-construits.
– L’Aleph : De votre point de vue, quelles sont les difficultés de ce projet ?
– P.L. : Le projet comprend trois phases. La première phase a consisté à interroger les Marnais sur leur perception de la Marne. Nous avons déployé l’étude avec nos propres moyens de communication et les résultats que nous avons obtenus sont très satisfaisants. La phase 2 est un peu plus compliquée car nous avons mobilisé les professionnels du tourisme pour atteindre notre cible. Étant en période touristique, la passation est un peu plus délicate à cause des contraintes des agendas des professionnels et leur capacité en termes de temps. C’est donc moins fluide mais ça nous a permis aussi de consolider nos liens avec les professionnels du tourisme. À part cela, nous n’avons pas d’autres difficultés pour le moment. C’est assez fluide car il y a toujours cette capacité d’adaptation et d’écoute de la part de l’Aleph. Vraiment énormément de satisfaction dans cette collaboration.
Les premiers résultats ont également bouleversé quelques préconçus qu’on avait sur les habitants de la Marne. À la première réunion de débriefing, on s’est rendus compte que la réalité n’était pas exactement ce qu’on pensait.
– L’Aleph : Et finalement, qu’est-ce que vous retenez de ce projet ? Qu’est-ce qui vous plait, quels en sont les points forts ?
– P.L. : Nous avons confirmé que nous avons la capacité d’avoir demain les profils émotionnels des visiteurs et des habitants du territoire pour arriver à anticiper et à développer les offres et la communication qui y correspondent. Est-ce que ce que nous projetons correspond à l’idéal de nos publics ? Comment susciter les émotions qui sont attendues ?
Est-ce que nous communiquons par exemple sur la convivialité alors que nos publics sont dans l’inconnu et l’aventure ? Il faut faire un travail pour nous ancrer dans les ressentis réels et adapter l’offre et la communication à ce qui est réellement vécu et désiré.
Les premiers résultats ont également bouleversé quelques préconçus qu’on avait sur les habitants de la Marne. À la première réunion de débriefing, on s’est rendus compte que la réalité n’était pas exactement ce qu’on pensait. Ce projet a donc aussi la qualité de remettre en question et de réinterroger la manière dont le territoire est vécu. Par exemple, on pensait qu’entre les Marnais ruraux et urbains il y aurait un clivage. On ne l’a pas trouvé. Le critère d’urbanisation n’a pas du tout d’influence sur les perceptions. Nous n’avons que des résultats partiels pour le moment, donc nous sommes dans une phase interrogative. On creuse. Qu’est-ce qui fonde ces perceptions ? Nous avons hâte de finir les 3 phases et d’avoir l’intégralité des résultats.
– L’Aleph : Avec vos mots, comment définiriez-vous xenia ?
– P.L. : En écho à ce que je disais, c’est une aventure humaine, une aventure positive, je précise. Une manière de plonger dans l’inconnu, d’aller plus loin que ce qu’on sait déjà. On part d’une idée de ce qu’on veut faire, on avance, on s’adapte, on ajuste, on découvre. On a de nouveaux résultats en décalage avec ce qu’on aurait pu penser. Et derrière, ça commence à impacter, à faire réfléchir les collègues de la communication sur la manière de présenter et véhiculer les messages.
– L’Aleph : Quels mots-images choisiriez-vous pour décrire la perception de votre expérience avec xenia ?
– P.L. : En premier lieu, « part de mystère », « retour à l’essentiel », « exploration », « à contre-courant », « terra incognita ». En deuxième position « se perdre dans l’étrange », « étoiles plein les yeux », « frissons », « tête dans les nuages », « moment de poésie ». Et en troisième position « appel de l’aventure », « rencontres improbables », « rencontres magiques », « saut dans le vide » et « hasard des rencontres ».
– L’Aleph : Un mot pour la fin ?
– P.L. : J’ai hâte qu’on arrive à collecter toutes les données des 3 phases et qu’on ait tous les résultats pour travailler dessus. Et aussi que xenia puisse vivre longtemps et évoluer et s’enrichir pour répondre aux besoins des uns et des autres.
Propos recueillis par Amel ALLIK