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Modéliser l’imaginaire pour décrypter les désirs. Entretien avec Sylvie Rebillard

Xenia est le résultat du « mariage de la sémiotique et du numérique via une structure de l’imaginaire ». Sylvie Rebillard, responsable R&D de l’Aleph, nous explique les fondements théoriques et méthodologiques de ce décrypteur des ressentis et des désirs qu’elle a mis en place. Elle partage avec nous son long parcours dans le domaine des études et du marketing, ainsi que le cheminement de sa pensée et de sa pratique du terrain qui l’ont menée à imaginer et concevoir notre solution numérique de collecte et d’analyse des émotions.

Xenia, c’est la concrétisation d’une idée que j’ai depuis longtemps. C’est la fécondité du mariage de la sémiotique et du numérique via une structure de l’imaginaire

– L’Aleph : Bonjour Sylvie, tu es cofondatrice de l’Aleph et responsable R&D. Peux-tu nous dire quel a été ton parcours avant cela ?

– S.R. : Bonjour Amel, très tôt, j’ai eu un goût prononcé pour la littérature, les arts, les sciences sociales, et pour l’exploration de l’imaginaire dans tous les sens. J’ai donc fait des études en lettres modernes et psychologie. Je me suis également passionnée pour la réalisation audiovisuelle, le scénario et l’image. J’ai d’ailleurs commencé ma carrière en animant des formations de photo, image et cinéma dans une association.

Après cette première expérience, j’ai entamé une longue carrière dans le monde des études. J’ai d’abord été associée d’une société d’études et sondages marketing.  Je pilotais le département des études qualitatives avec un positionnement très pointu. Je faisais le pont entre recherche fondamentale et études appliquées. La société a ensuite été intégrée à IPSOS qui voulait créer un pôle régional Bordeaux, Toulouse, Lyon, Marseille, Nancy.  J’ai alors assuré les fonctions de directrice des études qualitatives de ce nouveau pôle.

Ces premières années de recherche appliquée étaient intenses et enrichissantes. J’intervenais sur des études très approfondies et souvent longitudinales pour les Grands Comptes. Ça pouvait toucher à la stratégie dans le domaine des médias ou concerner la recherche autour de nouveaux concepts. Mais au bout de 3 ans, je me suis rendu compte que les contraintes commerciales d’un grand groupe ne correspondaient pas à mes aspirations.  J’ai donc finalement créé ma société QASSIOPE, où j’ai pu déployer et conforter mes méthodologies particulières. Jai peaufiné les techniques de recueil des discours implicites pour dégager les structures de l’imaginaire dans plusieurs secteurs. J’intervenais par exemple dans les domaines des médias, des transports en commun, de l’habitat collectif et du tourisme.

À un moment, de plus en plus d’acteurs du tourisme faisaient appel à moi. J’ai alors fini par me spécialiser dans ce secteur. Je travaillais beaucoup avec les collectivités territoriales pour dégager la personnalité du territoire. J’ai fini par développer mon propre produit d’études : « Univers imaginaire et valeurs identitaires du Territoire ». Concrètement, ce produit me permettait de définir des lignes directrices pour la mise en valeur singularisante du territoire concerné et l’aide à la prise de décision.

Xenia est une solution numérique qui décrypte les désirs et les ressentis du répondant en sollicitant son imaginaire. Je dirais que c’est une mini-application qui ressemble à un jeu d’imagination immersif. La règle du jeu consiste à vous projeter ou à vous (re)plonger par la pensée dans une expérience.

– L’Aleph : Tu es aujourd’hui responsable R&D au sein de l’Aleph. Concrètement, en quoi consiste ton travail ?

– S. R. : l’amélioration de notre outil xenia est continuelle et requiert beaucoup de travail et de développements. Je travaille actuellement à finaliser le modèle d’interprétations des mots-images. Nous avons déjà mené de nombreux tests et expérimentations. Nous avons confirmé la compréhension des mots-images ainsi que la pertinence de leur interprétation. Maintenant, il s’agit de mener un travail plus approfondi pour installer à terme une automatisation plus poussée de l’interprétation des mots-images. Un autre axe d’amélioration important et continuel est de peaufiner les discours qui accompagnent l’outil et de les adapter aux secteurs des clients. Nous sommes également en train de développer une version anglaise de xenia pour l’international. Un gros chantier de transposition est donc en cours. Sur tous ces axes, il y a aussi un travail de transmission et de formation de l’équipe R&D pour passer le témoin à terme.

– L’Aleph : Peux-tu nous expliquer rapidement l’outil xenia et comment il marche ?

– S. R. : xenia est une solution numérique qui décrypte les désirs et les ressentis du répondant en sollicitant son imaginaire. Je dirais que c’est une mini-application qui ressemble à un jeu d’imagination immersif. La règle du jeu consiste à vous projeter ou à vous (re)plonger par la pensée dans une expérience. Par exemple un voyage, un événement, le rapport à une marque, un travail, un lieu de vie, etc. il suffit de choisir ensuite dans une liste de mots-images (des mots qui font monter des images), ceux qui font écho à vos ressentis. Xenia vous donne tout de suite votre « climat émotionnel » face à cette expérience vécue (ressentis) ou rêvée (désirs). Pour le répondant, xenia propose une petite illustration explicative sous forme d’un moulin avec 9 indicateurs émotionnels. Pour l’organisation qui utilise l’outil pour mieux connaitre ses publics, un tableau de bord très détaillé offre une vue globale et précise des ressentis et désirs de toutes les personnes qui ont fait le test.

J’ai réalisé qu’il ne suffisait pas de décrypter les désirs et les ressentis, mais qu’il fallait peut-être aussi aider à les exprimer. J’ai donc rassemblé un corpus de signifiants, que j’ai appelés « mots-images.

– L’Aleph : Tu es à l’origine de l’utilisation des mots-images dans la solution d’analyse des émotions xenia. Comment est née cette idée ?

– S. R. : xenia est fondée sur l’analyse sémiotique qui met en relation un signifiant, c’est-à-dire une forme qui peut être une image, un mot, etc., et un signifié c’est-à-dire un concept, une image mentale. Dans un premier temps, j’ai mis au point la structure de l’imaginaire du voyage, qui a fourni les signifiés du modèle. Nous avons ensuite appliqué la grille d’analyse obtenue pour décrypter les émotions et les désirs dans les avis des internautes. Mais nous nous sommes vite rendu compte que ce corpus n’était pas compatible avec les possibilités qu’offrait xenia. Notamment parce qu’on développe très peu les désirs et les émotions dans les avis. J’ai réalisé qu’il ne suffisait pas de décrypter les désirs et les ressentis, mais qu’il fallait peut-être aussi aider à les exprimer. J’ai donc rassemblé un corpus de signifiants, que j’ai appelés « mots-images ».

Sous l’apparente simplicité de xenia, il y a une longue maturation d’une méthodologie que j’ai filée, appliquée et vérifiée tout au long de ma carrière de recherche appliquée.

– L’Aleph : Tu parles d’analyse sémiotique. Quand on utilise xenia, on peut avoir l’impression que c’est un gadget. Ça se présente comme un jeu sympathique et très rapide. Peux-tu nous en dire plus sur les fondements de cet outil de collecte et d’analyse des émotions ?

– S. R. : sous l’apparente simplicité de xenia, il y a une longue maturation d’une méthodologie que j’ai filée, appliquée et vérifiée tout au long de ma carrière de recherche appliquée. D’une part, j’ai mené un long chantier d’exploration qualitative sur l’imaginaire du voyage auprès d’un échantillon important et varié. À partir d’une analyse structurale et sémiotique, j’ai dégagé les axes de la structure de l’imaginaire. J’ai ensuite traduit ces axes en indicateurs de désir. D’autre part, j’ai travaillé sur le concept d’hospitalité. J’ai à la fois étudié les avancées sur la question dans la recherche académique, et mené des études sur le terrain pendant 15 ans.

– L’Aleph : Quelles sont les difficultés principales que tu as rencontrées dans cette méthodologie ?

– S. R. : des difficultés, il y en a eu beaucoup. Mais je dirais qu’il y en a deux principalement. La première est l’ampleur des champs d’expérimentation à mener. La deuxième est la variété des domaines de connaissance mis à contribution. Ça nécessite de trouver les équipes suffisantes en nombre et variées en compétences pour mener à bien le travail et éviter au maximum les biais cognitifs

– L’Aleph : Qu’est-ce qui te plait dans ce projet ?

– S. R. : Xenia, c’est la concrétisation d’une idée que j’ai depuis longtemps. C’est la fécondité du mariage de la sémiotique et du numérique via une structure de l’imaginaire. Je suis passionnée par la visée fondamentalement humaniste du projet. La démarche elle-même me plait beaucoup aussi par sa portée poétique. Comme le disait Barthes, poétiser c’est sauver le sens inaliénable des choses.

 […] si la raison de l’Humain, déjà en germe, l’emporte sur le consumérisme à outrance, xenia va s’imposer. Aller au cœur du désir individuel va devenir une nécessité absolue et incontournable dans la relation entre professionnels et particuliers.

– L’Aleph : Comment vois-tu l’avenir de xenia ?

– S. R. : je pense que xenia répond totalement aux aspirations et aux angoisses de notre société en mouvance. Il y a la crainte du vol des données, la critique du modèle économique dominant, la conscience écologique et la mouvance RSE, la conscience de l’importance de sortir des cloisonnements et de s’ouvrir vers l’interdisciplinarité, etc. Je dirais que si la raison de l’Humain, déjà en germe, l’emporte sur le consumérisme à outrance, xenia va s’imposer. Aller au cœur du désir individuel va devenir une nécessité absolue et incontournable dans la relation entre professionnels et particuliers. Xenia aura toute sa place dans ce contexte.

Perception de la marque xenia par Sylvie Rebillard (voir la xeniagraphy complète)

L’Aleph : Pour finir, quels mots-images utiliserais-tu pour décrire ton expérience avec xenia ?

– S. R. : en premier, « moment de poésie », en deuxième position, « en immersion totale », puis en troisième position, je dirais « temps suspendu », « à contre-courant », « voie des autres », « Chez moi ailleurs », «yeux grands ouverts sur le monde », « part de mystère », « exploration », « refaire le monde », « qui donne des ailes ».

Propos recueillis par Amel ALLIK